On ne présente plus Bruno Heubi. C'est une figure incontournable de l'ultra endurance sur route en France. Un athlète de très haut niveau. Mais Bruno Heubi est également un pédagogue de la course à pied juste incroyable. Chez RUNNEA, nous avons un responsable du développement international qui est accro aux courses de longue distance. Il prépare les 100K de Millau, une course à laquelle il a déjà participé. Alors quoi de mieux que lui laisser carte blanche pour échanger avec son idole ? Voici l'interview entre Lionel, un centbornard en herbe, et Bruno Heubi, une légende de l'ultra performance sur route.
Tu as remporté les 100K de Millau en 2005. Une belle anecdote sur cette course, tu as changé de chaussures de running au milieu de la course. Tu portais des chaussures Mizuno Wave très réactives jusqu’à Thiergues, où tu as changé de chaussures pour plus d'amorti lors de la descente de Sainte Affrique. Aujourd'hui, les chaussures avec plaque de carbone sont très populaires. Qu'en penses-tu sur leur utilisation dans un 100K ?
Un 100K par Aleksandr Sorokin ou Guillaume Ruel, oui. Du moment où l'on court à environ 15 km/h, soit en moins de 7 heures, cela peut avoir un intérêt. En dessous de ce rythme, je doute qu’il y ait vraiment d'avantages. Après, je ne suis pas un spécialiste des chaussures.
Pour ma part, je n'utilise pas de chaussures avec plaque de carbone. J’ai un modèle de la marque On Running pour les 10K où je peine à atteindre les 15 km/h. J'opte plutôt pour certaines chaussures de running Saucony qui ont une autre technologie, adaptée à des vitesses de 13 ou 14 km/h.
On voit que les marques proposent de plus en plus de produits qui conviennent aux coureurs amateurs.
J'ai remarqué que le public dans les courses de trail est souvent très jeune, tandis que dans les marathons sur route, le public est généralement plus âgé. Qu'en est-il des personnes que tu entraînes ?
En ce qui concerne les personnes que j'entraîne, j'ai un large éventail, que ce soit des coureurs sur route, des traileurs, des triathlètes ou des participants à des formats de course particuliers, comme des backyards. D’une part, les marathons comme Paris, Londres ou Séville sont souvent réservés à des personnes ayant des facilités financières. Il faut payer le dossard, le déplacement, l’hébergement… Cela fait une somme conséquente !
Les plus jeunes sont souvent plus attirés par les activités en plein air et ont une conscience plus développée des problèmes environnementaux.
C’est mon analyse, mais je ne me suis pas penché particulièrement sur cette question.
Il y a beaucoup de débats sur les entraîneurs qui s'improvisent sans avoir les compétences nécessaires. Quelle est ta vision à ce sujet ?
Quand j'ai commencé mon activité d'entraîneur à distance en 2010, le coaching en ligne était encore peu répandu. Mon but était de donner accès à mon expérience à ceux qui souhaitaient s'entraîner avec moi. Je proposais des séances personnalisées et j'analysais leur entraînement pour leur fournir des conseils adaptés.
Je voulais donner des séances de haut niveau pour tous les niveaux. La seule différence avec les athlètes de haut niveau, ce sont les qualités innées de base, des qualités physiques hors norme. Avec ça on ne peut pas rivaliser.
Mais plein de gens ont une entraînabilité de haut niveau et qui s’investissent de manière incroyable. Quelles que soient vos capacités, je vous propose de tirer le meilleur de vous et optimiser votre potentiel. Si c’est 4 heures, c’est 4 heures. Si c’est 3 heures, c’est 3 heures. Mais je ne vous pousserai jamais à faire 3 heures si votre potentiel est de 4 heures.
Aujourd’hui, il y a une pléthore d’entraîneurs sur le marché, mais moi je ne peux fonctionner que si je vends de l’ultra expertise et de l’hyper compétence.
Les gens acceptent bien de payer des chaussures de running car les chaussures gratuites n’existent pas. Pour un entraîneur, il y a des solutions gratuites comme des plans disponibles en ligne. La concurrence est féroce, mais il n’y a pas toujours derrière de la compétence forcément ou des capacités d’analyse.
Pour mes entraînements, j’utilise Nolio qui facilite le partage des données. Je peux voir ainsi si tout est bien fait pour obtenir des adaptations physiologiques déterminées. Plusieurs entraîneurs essayent de reproduire ce qu’ils ont fait eux-mêmes en tant qu’athlètes, mais ils ne savent pas forcément ce qu’ils vont produire en termes physiologiques. Et c’est normal, ce n’est souvent pas leur métier.
Je vois chez toi qu’il y a un vrai souci de l’adaptation des outils et notions, beaucoup plus pragmatiques et démocratiques. Tu délaisses la notion de seuil pour celle d’endurance maximale aérobie.
Le seuil, on l’a tartiné à toutes les sauces. Tout le monde fait du seuil sans savoir ce que c’est vraiment.
L’endurance maximale aérobie permet de faire une meilleure analyse en dehors du laboratoire.
D’autre part, c’est mon côté prof et j’aime bien donner du sens aux choses. C’est une condition essentielle pour bien faire les choses, pour faire comprendre aux athlètes ce qu’ils font. Par exemple : pourquoi c’est important de faire une récupération active ?
Je reviens sur le fait de “se payer Bruno Heubi”. Tu entraînes à distance, mais tu fais pas mal de stages en présentiel.
J’appelle ça des stages, mais c’est plus des formations, pour transmettre une méthode d’entraînement.
Samedi, on fait le test EMA, j’explique le pourquoi, à quoi il sert, comment on l’exploite… Ensuite, on aborde les trois piliers de l’entraînement selon lesquels la performance = puissance x efficience x endurance.
À la fin du stage, ce sont les athlètes qui construisent leur séance d’entraînement à partir de tous les éléments fournis.
Parlons maintenant de ta philosophie de course. Tu es connu pour être très régulier dans tes performances, en évitant les erreurs de départ trop rapide. Peux-tu nous expliquer comment tu gérais ton rythme quand tu courais, à une époque où les montres GPS n'étaient pas aussi répandues ?
Je pense très sincèrement qu’il y a de l’inné et de l’acquis dans ma bonne perception de mes sensations et de mon rythme. J'ai appris à me connecter à mes sensations. Mon cœur était mon cardio et mes sensations étaient mon GPS. Je pouvais presque estimer mon allure les yeux fermés.
Par rapport à la gestion de la course, quand j’avais 15 ans, lors du championnat de France de cross à Calais, j'ai commencé la course à la 150e place et j'ai terminé 8e. J'étais extrêmement régulier, peut-être que parce que je n’avais pas les capacités innées à démarrer fort.
Lors de ma victoire aux 100K de Millau en 2005, j'avais un plan de course précis avec des temps de passage. Je l'ai suivi à la lettre. Par moments, j'étais 7e, 8e, voire 10e, mais cela ne me dérangeait pas. Je savais que si les autres allaient plus vite, c'était parce qu'ils étaient plus forts et qu'ils allaient gagner. J'étais concentré sur ma stratégie personnelle.
Il est vrai qu'aujourd'hui, les montres GPS et cardio sont devenues courantes et sont d'excellents outils pour les coureurs. Elles offrent des fonctionnalités avancées et permettent de suivre des séances d'entraînement spécifiques. Cependant, je constate que certaines personnes deviennent trop dépendantes de leur montre et attendent tout d'elle, comme prédire leur forme physique.
Je pense qu'il est important de se connecter aux outils, mais aussi à soi-même. Les montres GPS peuvent être d'une grande aide, mais il est essentiel de rester à l'écoute de ses sensations et de développer une bonne compréhension de son corps.
Merci, Bruno, pour ces précieux conseils. Ta vision de la course et ta capacité à gérer ton rythme sont inspirantes. Je suis sûr que nos lecteurs apprécieront ces informations.
C'était un plaisir de discuter ensemble. J'espère que nos échanges pourront aider les coureurs à progresser et à prendre de meilleures décisions dans leur entraînement.
Lire plus d'actualités sur : Running news